Bonjour Sheila Pinto Castilla, vous êtes gérante de la cave à chocolat Shoco, rue Jean-Baptiste Boussingault à Brest. Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment l’idée de créer une cave à chocolat vous est venue ?
Originaire du Venezuela, j’ai grandi au milieu des cacaotiers. J’ai eu cette passion pour les fèves de cacao et leur transformation en chocolat.
J’ai fait de ma passion mon métier. Biologiste de formation, j’ai suivi ensuite un master en food technology” puis en commerce international. J’ai travaillé plusieurs années à la chambre de commerce franco vénézuélienne, au Venezuela, dans le but de réduire au maximum le nombre d’intermédiaires entre la récolte des fèves de cacao et la vente en France et pour également assurer une qualité du cacao. Pour rappeler son histoire, le cacao est un fruit récolté à la main sur les cacaotiers depuis des millénaires dans les pays d’Amérique du Sud. Cette filière a pris une grande ampleur au cours du XXème siècle et, depuis, la demande en fèves de cacao n’a cessé d’augmenter.
Pour répondre à cette croissance, l’agriculture intensive a alors introduit des arbres cacaotiers sur de nouvelles terres, et entraîné de nombreuses déforestations. Mais, ces variétés de cacaotiers fournissent des cabosses de cacao moins qualitatives et appauvrissent les sols… Cette filière intensive pose également problème d’un point de vue humain : les cabosses se ramassant uniquement à la main, une importante main-d’œuvre est donc nécessaire pour les récolter. Imaginez, nous avons besoin de récolter 20 000 cabosses pour produire une tonne de fèves de cacao sèches ! Malheureusement, la rémunération des ouvriers travaillant dans les plantations n’est pas toujours à la hauteur de leur charge de travail.

Persuadée que pour faire changer les choses, il fallait informer les consommateurs, j’ai commencé à avoir en tête l’ouverture d’un lieu de rencontre et de vente de chocolat où je pourrais sensibiliser les consommateurs aux enjeux sociétaux, environnementaux et gustatifs du cacao. Puis, au cours d’un atelier d’œnologie, j’ai été impressionnée par la ressemblance entre les caractéristiques d’un vin et d’un cacao : notes, arômes, complexité, variétés, millésimes, grands crus… J’ai alors eu l’idée de créer une cave à chocolat !
La Cave Shoco est née, fin 2018. Comment fonctionne-t-elle ?
J’ai voulu créer un petit havre de paix, au milieu du bitume de Brest, où gourmandise, détente et chocolat seraient au rendez-vous. SHOCO c’est à la fois une cave à chocolat, un salon de thé pour déguster en toute tranquillité sur place, et un lieu pour échanger sur la filière cacao et ses enjeux. J’ai imaginé un espace de détente, avec des lumières apaisantes, des plantes naturelles et des fontaines pour savourer le bruit de l’eau…

En 2018, j’ai tout de suite su que les premiers chocolats que j’allais mettre à l’honneur seraient ceux confectionnés par Philippe Bel, élu meilleur ouvrier de France en 2004. Philippe travaille directement la fève de cacao pour fabriquer ses chocolats : il transforme lui-même le cacao en poudre puis en chocolat ! Il a un savoir-faire rare et précieux. Aujourd’hui, je me bats, accompagnée de notre pâtissière et de notre apprentie en chocologie, pour informer les consommateurs sur l’importance d’acheter un chocolat de bonne qualité gustative et éthique.
Nous vendons une centaine de références de tablettes de chocolat, venant du monde entier et issues de productions respectueuses de l’Homme et de la Nature. Nous proposons également des boissons chaudes (cafés, chocolats chauds, thés, tisanes) accompagnées de gourmandises faites maison par notre pâtissière.
La carte des boissons et des pâtisseries évolue en fonction des saisons. Nous terminons la saison des chocolats chauds et entrerons bientôt dans la saison des smoothies, milkshakes et cacalas, une boisson vénézuélienne à base de noix de coco !
Concrètement, qu’est-ce qu’un cacao de bonne qualité ?
La première chose à regarder lorsque l’on achète une tablette de chocolat est sa méthode de production. Qui a cultivé le cacao ? Quelle est la variété cultivée ? Dans quelles conditions de travail le cacao est-il récolté ? Les méthodes de culture et de récolte sont-elles respectueuses de l’environnement ? Comment le producteur est-il rémunéré ? Plus le consommateur a d’informations sur la traçabilité du produit, meilleure est sa qualité.
De plus, le pourcentage de cacao dans une tablette ne garantit pas sa qualité. Parfois les consommateurs pensent que plus ce pourcentage est élevé, meilleur est le chocolat ; mais cela n’est pas toujours vrai. Bien sûr les chocolats à 70% de cacao ont plus d’arômes que les autres. Mais, il faut regarder la variété de cacao utilisée. Trois variétés de cacao sont utilisées pour produire le chocolat dans le monde :
- l’Amazonico forastero, le cacaotier le plus produit dans le monde car résistant aux maladies, avec des fruits faciles à récolter mais peu qualitatifs
- le Criollo, la meilleure variété mais la plus rare, elle représente 0.1% de la production mondiale (toutes les tablettes de la cave sont conçues à partir de cette variété)
- le Trinatario, une variété hybride entre les deux premières.
Ainsi, un bon cacao est un cacao de variété Criollo et dont on connaît toute la traçabilité. Pour avoir ce gage de qualité, nous achetons chez Shoco, uniquement des tablettes appelées « bean to bar » (signifiant de la fève à la tablette). Bean to bar est une méthode de travail garantissant la traçabilité du cacao : la variété de cacao cultivé, la méthode de culture et de récolte et sa transformation en chocolat. Toutes les personnes ayant travaillé sont connues ainsi que leurs revenus.
Grâce à cette méthode de travail, chaque acteur de la chaîne est mieux rémunéré et la biodiversité des cacaotiers est préservée : seules les variétés rares et naturellement implantées sont utilisées pour réaliser ces tablettes.
Nous vendons également des tablettes de chocolat appelées « Tree to bar » (signifiant de l’arbre à la tablette). Ici, un seul acteur réalise toutes les étapes de la culture à la transformation, jusqu’à la création de l’emballage : on peut parler de circuit très court !

Travaillez-vous directement avec les producteurs de cacao et/ou les transformateurs ?
Oui exactement. Lors de mon expérience au sein de la chambre de commerce de Caracas, j’ai développé un important réseau de professionnels du chocolat que je contacte aujourd’hui pour acheter les produits. Je connais personnellement la plupart des producteurs originaires du monde entier et me rends sur place dès que je peux pour m’assurer des conditions de travail et de culture.
J’échange également régulièrement avec d’autres acheteurs de tablettes de chocolat afin de partager les « bons plans » et les nouveaux producteurs à contacter par exemple. Par souci d’empreinte carbone, nous essayons le plus possible de passer commande ensemble pour qu’il n’y ait qu’une seule expédition de produits.
Enfin, je participe tous les ans au Salon du chocolat à Paris, cela me permet de consolider mes liens avec les autres professionnels de cette filière !
Au quotidien, sensibilisez-vous différents publics ?
Oui, il y a différents profils intéressés par le chocolat et son histoire… Mais ils ont un point commun : ils font très attention à ce qu’ils mangent et sont curieux de l’origine et de la traçabilité de leurs tablettes !
Nous avons des clients habitués qui viennent régulièrement, offrent des tablettes à leurs proches qui viennent ensuite eux-mêmes découvrir la cave à leur tour : le bouche à oreille fonctionne très bien !

Nous avons également une clientèle d’étudiants à laquelle nous proposons une remise de 10%.
Enfin, nous organisons des soirées dégustation « Le tour du monde » pour sensibiliser un groupe volontaire aux concepts et aux enjeux de la filière cacao. Lors de cette soirée, une dégustation de sept chocolats, provenant de continents différents a lieu pour montrer la richesse des goûts et la complexité d’un chocolat. Notre but : faire voyager les consommateurs avec leur palais ! Les prochaines dates et les inscriptions pour les soirées dégustation se trouvent sur nos réseaux sociaux (Shoco – la cave à chocolat).